économie

Immobilier en 2024 : Pourquoi la construction neuve est en train de sombrer dans une crise sans précédent

Une crise qui secoue les fondations du bâtiment : comprendre pourquoi 2024 marque un retour 70 ans en arrière.

Publié le
6/1/25
, mis à jour le
6/1/25
January 6, 2025

2024 pourrait marquer un tournant tragique pour l’immobilier neuf, avec des chiffres de mises en chantier dégringolant à des niveaux équivalents à ceux des années 1950. Entre la hausse des taux d’intérêt, une demande bridée et l'abandon des soutiens budgétaires, le secteur est au bord d’une paralysie. S’installe-t-on dans une "crise structurelle" ? Décryptage d’un naufrage économique qui pourrait remodeler, voire figer, l’avenir du logement en France.

Immobilier 2024 : la fin d’une ère pour le neuf ?  

C’est un fait froid, brutal, difficile à contester : en 2024, moins de logements neufs seront bâtis que dans n’importe quelle autre année post-1950. Un constat ravageur qui fait frémir les professionnels du bâtiment comme les observateurs de l’économie en général. Derrière cette descente vertigineuse des mises en chantier, une cascade de dysfonctionnements, entre décisions politiques hasardeuses, pression financière accrue et inversion d’un modèle qui, il faut bien l’admettre, n’a jamais totalement collé aux besoins des Français les plus fragiles. Mais allons-y pas à pas. Essayons de comprendre pourquoi l’immobilier neuf cède aujourd’hui sous le poids d’une crise multiforme et aux véritables odeurs de catastrophe industrielle.  

L’ombre d’une époque révolue  

Pour contextualiser l’ampleur du recul, il faut revenir aux Trente Glorieuses. Inspiré par une phase de reconstruction après la guerre, une France ambitieuse lançait à tours de bras des programmes immobiliers pharaoniques. On construisait, on redessinait les villes à coups de béton, et les bulldozers ne s’arrêtaient jamais. Puis survint la fin des années 1970 et, avec elle, un ralentissement contrôlé mais prévisible. Depuis, si l’urbanisme a certes changé de visage, la question du logement neuf est restée un pilier stratégique pour l’économie française. Car oui, derrière chaque grue se cache une multitude d’enjeux : création d'emplois, formation professionnelle, mécaniques d’investissement pour les ménages, prélèvements fiscaux pour l’État. La machine, malgré ses ratés, avançait. Alors pourquoi s'effondre-t-elle si dramatiquement en 2024 ?  

La spirale toxique des taux d’intérêt  

En haut de la liste des coupables figure ce mot qui donne des sueurs froides aux acheteurs : les taux. Avec l’inflation galopante ayant fait son grand retour au milieu de 2022, les banques centrales n’ont pas tardé à retrousser leurs manches pour durcir la politique monétaire. Répercussion immédiate : le prix de l’argent – le fameux crédit – a explosé. Ce n’est pas seulement un frein pour les particuliers qui rêvaient d’un pavillon en périphérie, non, c’est une véritable entrave pour les promoteurs et les investisseurs institutionnels.  

Un promoteur qui empruntait à un taux de 1 % pour développer un programme immobilier il y a trois ans fait désormais face à des taux dépassant souvent les 4 %, plombant la rentabilité envisagée du projet avant même sa livraison. Et puisqu’il n’y a pas de miracles, ces acteurs désertent le marché. Bilan : 21 % d’opérations immobilières annulées en 2023 avant même l’obtention du permis de construire selon des données récentes.  

Trop cher à bâtir, trop cher à acheter. À force de politiques restrictives couplées à l’inertie des décisions publiques (nous y reviendrons), 2024 s’inscrit déjà comme l’année de la cassure.  

Un régime fiscal à la dérive

Là où la chaîne pouvait se raccrocher à quelques sections solides, notamment grâce à certains dispositifs d’incitation fiscale, le budget pour 2024 a tout simplement omis un détail essentiel : le logement neuf. Pire encore, loin de renforcer les aides déjà existantes, en voici certaines promises à disparaître progressivement, comme le Pinel, dont les réductions fiscales s’amoindrissent à mesure qu’on avance dans le calendrier.  

Pour toutes les apparentes bonnes intentions derrière des niches fiscales conçues pour attirer les investisseurs privés, il semble que le gouvernement préfère jouer la carte de la rigueur. Pourquoi ? Parce que les finances publiques sont en tension absolue, tiraillées entre les gilets jaunes d’hier et les révoltes des étudiants mal logés de demain.  

Mais le vrai problème ici, c’est bien l’absence d’une vision claire. À vouloir “couper” plutôt qu’investir, c’est tout un secteur que l’on laisse respirer par intermittence… avant d’éteindre purement les machines.  

Des emplois en danger, un secteur en panique  

Derrière ces chiffres bruts se cachent des réalités humaines. L’industrie du bâtiment et de la construction représente 7 % de l’emploi salarié en France. Autrement dit, des centaines de milliers de personnes vivent – ou survivaient – directement et indirectement de la dynamique des chantiers.  

Conducteurs d’engins, électriciens, charpentiers, ingénieurs ou encore responsables commerciaux : le ralentissement des mises en chantier s’apparente à un juge de paix impitoyable pour ces corps de métier interdépendants. Selon certaines projections alarmistes, 80 000 emplois pourraient disparaître d’ici fin 2024 rien que dans le domaine du bâtiment.  

Le plus ironique, c’est que ce secteur n’a jamais manqué de besoins concrets à satisfaire. La France affiche un déficit chronique de logements, surtout dans les zones tendues comme Paris, Lyon ou Marseille. Les classes moyennes et populaires subissent déjà une pression insupportable avec les prix à l’achat et à la location en constante hausse. Dans ce contexte de carence évidente, comment expliquer une telle inertie face à l’effondrement des constructions neuves ?  

L’échec d’une réponse politique  

Le gouvernement est-il dépassé par l’ampleur de cette crise ? À en croire les principaux acteurs du secteur, il semblerait que oui. Alors que d’autres pays européens ont redoublé d’efforts pour soutenir la production immobilière, notamment en réactivant des programmes publics massifs, la France, elle, affiche un mépris inquiétant pour son tissu économique et social.  

Certes, Emmanuel Macron et ses équipes ont tenté de faire valoir certaines mesures, comme la prolongation du prêt à taux zéro (PTZ) jusqu’à 2027, une aide bien connue pour favoriser l’accession à la propriété des primo-accédants. Mais à y regarder de près, le compte n’y est pas. Ces ajustements fiscaux paraissent dérisoires face à l’ampleur de la crise.  

Un plan plus robuste aurait pu (et dû) inclure des leviers clairs : baisse temporaire des taux garantis par l’État, mise en place d’un fonds de garantie pour soutenir les petits promoteurs ou encore des subventions directes à la construction en zone prioritaire.  

Mais non, les décisions se sont limitées à des ajustements marginaux, sans vision stratégique. Et entre temps, le marché s’étouffe encore.  

L’impact sur l’économie nationale  

L’immobilier neuf n’est pas qu’un petit sous-secteur isolé : c’est le cœur battant d’une mécanique économique plus vaste. Lorsque les mises en chantier ralentissent, c’est tout un écosystème qui vacille. Moins de constructions signifient moins d’achats de matériaux, de camions qui roulent, et au final, un impact sur la croissance globale du pays.  

La France pourrait ainsi enregistrer une croissance amputée de 0,5 point de PIB si l’immobilier continue de stagner. Une perspective inquiétante dans un contexte où les marges de manœuvre budgétaires sont déjà très réduites.  

Le monde d’après : condamné au statu quo ou à la transformation ? 

Alors que le secteur traverse cette tempête, une question se pose : assistons-nous à une crise conjoncturelle ou à une mutation réglementaire et culturelle plus profonde ? Le fantasme d’une « France sans béton », porté par certains écologistes, semble entrer en résonance avec un épuisement des institutions à investir durablement dans ce domaine si stratégique.  

Si l’on veut redresser la pente, il faudra faire preuve d’audace, tant financière qu’idéologique. L’avenir de l’immobilier en France reste un chantier ouvert. Mais en 2024, tous les signaux sont au rouge, et l'incertitude politique ne risque guère d'arranger les choses pour 2025, si elle perdure.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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Immobilier en 2024 : Pourquoi la construction neuve est en train de sombrer dans une crise sans précédent

Publié le
January 6, 2025
, mis à jour le
6/1/25
January 6, 2025

2024 pourrait marquer un tournant tragique pour l’immobilier neuf, avec des chiffres de mises en chantier dégringolant à des niveaux équivalents à ceux des années 1950. Entre la hausse des taux d’intérêt, une demande bridée et l'abandon des soutiens budgétaires, le secteur est au bord d’une paralysie. S’installe-t-on dans une "crise structurelle" ? Décryptage d’un naufrage économique qui pourrait remodeler, voire figer, l’avenir du logement en France.

Immobilier 2024 : la fin d’une ère pour le neuf ?  

C’est un fait froid, brutal, difficile à contester : en 2024, moins de logements neufs seront bâtis que dans n’importe quelle autre année post-1950. Un constat ravageur qui fait frémir les professionnels du bâtiment comme les observateurs de l’économie en général. Derrière cette descente vertigineuse des mises en chantier, une cascade de dysfonctionnements, entre décisions politiques hasardeuses, pression financière accrue et inversion d’un modèle qui, il faut bien l’admettre, n’a jamais totalement collé aux besoins des Français les plus fragiles. Mais allons-y pas à pas. Essayons de comprendre pourquoi l’immobilier neuf cède aujourd’hui sous le poids d’une crise multiforme et aux véritables odeurs de catastrophe industrielle.  

L’ombre d’une époque révolue  

Pour contextualiser l’ampleur du recul, il faut revenir aux Trente Glorieuses. Inspiré par une phase de reconstruction après la guerre, une France ambitieuse lançait à tours de bras des programmes immobiliers pharaoniques. On construisait, on redessinait les villes à coups de béton, et les bulldozers ne s’arrêtaient jamais. Puis survint la fin des années 1970 et, avec elle, un ralentissement contrôlé mais prévisible. Depuis, si l’urbanisme a certes changé de visage, la question du logement neuf est restée un pilier stratégique pour l’économie française. Car oui, derrière chaque grue se cache une multitude d’enjeux : création d'emplois, formation professionnelle, mécaniques d’investissement pour les ménages, prélèvements fiscaux pour l’État. La machine, malgré ses ratés, avançait. Alors pourquoi s'effondre-t-elle si dramatiquement en 2024 ?  

La spirale toxique des taux d’intérêt  

En haut de la liste des coupables figure ce mot qui donne des sueurs froides aux acheteurs : les taux. Avec l’inflation galopante ayant fait son grand retour au milieu de 2022, les banques centrales n’ont pas tardé à retrousser leurs manches pour durcir la politique monétaire. Répercussion immédiate : le prix de l’argent – le fameux crédit – a explosé. Ce n’est pas seulement un frein pour les particuliers qui rêvaient d’un pavillon en périphérie, non, c’est une véritable entrave pour les promoteurs et les investisseurs institutionnels.  

Un promoteur qui empruntait à un taux de 1 % pour développer un programme immobilier il y a trois ans fait désormais face à des taux dépassant souvent les 4 %, plombant la rentabilité envisagée du projet avant même sa livraison. Et puisqu’il n’y a pas de miracles, ces acteurs désertent le marché. Bilan : 21 % d’opérations immobilières annulées en 2023 avant même l’obtention du permis de construire selon des données récentes.  

Trop cher à bâtir, trop cher à acheter. À force de politiques restrictives couplées à l’inertie des décisions publiques (nous y reviendrons), 2024 s’inscrit déjà comme l’année de la cassure.  

Un régime fiscal à la dérive

Là où la chaîne pouvait se raccrocher à quelques sections solides, notamment grâce à certains dispositifs d’incitation fiscale, le budget pour 2024 a tout simplement omis un détail essentiel : le logement neuf. Pire encore, loin de renforcer les aides déjà existantes, en voici certaines promises à disparaître progressivement, comme le Pinel, dont les réductions fiscales s’amoindrissent à mesure qu’on avance dans le calendrier.  

Pour toutes les apparentes bonnes intentions derrière des niches fiscales conçues pour attirer les investisseurs privés, il semble que le gouvernement préfère jouer la carte de la rigueur. Pourquoi ? Parce que les finances publiques sont en tension absolue, tiraillées entre les gilets jaunes d’hier et les révoltes des étudiants mal logés de demain.  

Mais le vrai problème ici, c’est bien l’absence d’une vision claire. À vouloir “couper” plutôt qu’investir, c’est tout un secteur que l’on laisse respirer par intermittence… avant d’éteindre purement les machines.  

Des emplois en danger, un secteur en panique  

Derrière ces chiffres bruts se cachent des réalités humaines. L’industrie du bâtiment et de la construction représente 7 % de l’emploi salarié en France. Autrement dit, des centaines de milliers de personnes vivent – ou survivaient – directement et indirectement de la dynamique des chantiers.  

Conducteurs d’engins, électriciens, charpentiers, ingénieurs ou encore responsables commerciaux : le ralentissement des mises en chantier s’apparente à un juge de paix impitoyable pour ces corps de métier interdépendants. Selon certaines projections alarmistes, 80 000 emplois pourraient disparaître d’ici fin 2024 rien que dans le domaine du bâtiment.  

Le plus ironique, c’est que ce secteur n’a jamais manqué de besoins concrets à satisfaire. La France affiche un déficit chronique de logements, surtout dans les zones tendues comme Paris, Lyon ou Marseille. Les classes moyennes et populaires subissent déjà une pression insupportable avec les prix à l’achat et à la location en constante hausse. Dans ce contexte de carence évidente, comment expliquer une telle inertie face à l’effondrement des constructions neuves ?  

L’échec d’une réponse politique  

Le gouvernement est-il dépassé par l’ampleur de cette crise ? À en croire les principaux acteurs du secteur, il semblerait que oui. Alors que d’autres pays européens ont redoublé d’efforts pour soutenir la production immobilière, notamment en réactivant des programmes publics massifs, la France, elle, affiche un mépris inquiétant pour son tissu économique et social.  

Certes, Emmanuel Macron et ses équipes ont tenté de faire valoir certaines mesures, comme la prolongation du prêt à taux zéro (PTZ) jusqu’à 2027, une aide bien connue pour favoriser l’accession à la propriété des primo-accédants. Mais à y regarder de près, le compte n’y est pas. Ces ajustements fiscaux paraissent dérisoires face à l’ampleur de la crise.  

Un plan plus robuste aurait pu (et dû) inclure des leviers clairs : baisse temporaire des taux garantis par l’État, mise en place d’un fonds de garantie pour soutenir les petits promoteurs ou encore des subventions directes à la construction en zone prioritaire.  

Mais non, les décisions se sont limitées à des ajustements marginaux, sans vision stratégique. Et entre temps, le marché s’étouffe encore.  

L’impact sur l’économie nationale  

L’immobilier neuf n’est pas qu’un petit sous-secteur isolé : c’est le cœur battant d’une mécanique économique plus vaste. Lorsque les mises en chantier ralentissent, c’est tout un écosystème qui vacille. Moins de constructions signifient moins d’achats de matériaux, de camions qui roulent, et au final, un impact sur la croissance globale du pays.  

La France pourrait ainsi enregistrer une croissance amputée de 0,5 point de PIB si l’immobilier continue de stagner. Une perspective inquiétante dans un contexte où les marges de manœuvre budgétaires sont déjà très réduites.  

Le monde d’après : condamné au statu quo ou à la transformation ? 

Alors que le secteur traverse cette tempête, une question se pose : assistons-nous à une crise conjoncturelle ou à une mutation réglementaire et culturelle plus profonde ? Le fantasme d’une « France sans béton », porté par certains écologistes, semble entrer en résonance avec un épuisement des institutions à investir durablement dans ce domaine si stratégique.  

Si l’on veut redresser la pente, il faudra faire preuve d’audace, tant financière qu’idéologique. L’avenir de l’immobilier en France reste un chantier ouvert. Mais en 2024, tous les signaux sont au rouge, et l'incertitude politique ne risque guère d'arranger les choses pour 2025, si elle perdure.

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