politique

2035 sans moteur thermique ? L'Europe divisée face à l'alternative des biocarburants

L’Europe unie sur le papier, divisée sur ses routes. L'Italie relance un débat existentiel pour l’industrie et bouscule la feuille de route.

Publié le
29/11/24
, mis à jour le
12/12/24
December 12, 2024

La transition énergétique de l’automobile européenne est en pleine tempête. Alors que l’Union Européenne a acté la fin des moteurs thermiques neufs en 2035, l’Italie et ses alliés remettent en question cette décision. Portant haut l’étendard des biocarburants, ces pays appellent à une révision qui bouleverserait le calendrier. S'agit-il d'un coup de frein à l’électrification ou d’un pas vers un futur plus pragmatique ?

Vers la mobilité électrique à marche forcée

2035. Une date désormais gravée dans les annales de la transition écologique européenne. Cette échéance sonne le glas des ventes de voitures neuves à moteur thermique, promulguée comme un tournant historique vers une mobilité entièrement décarbonée. Pourtant, au fil des mois, un vent de contestation souffle sur le Vieux Continent. Au cœur de ce tumulte, Rome et ses alliés : des nations qui croient encore en une autre voie, celle des biocarburants. Mais derrière les joutes politiques, ce débat soulève une question fondamentale : l'Europe peut-elle réellement concentrer tout son avenir automobile sur l'électrique ?

L'Italie, pays de la dolce vita et des supercars vrombissantes, n'a jamais caché son scepticisme face à la transition "tout électrique". Or, ce qui était jusqu’ici murmuré dans les couloirs bruxellois prend aujourd’hui la forme d’une offensive diplomatique. Giorgia Meloni, la Première ministre italienne, entourée de partenaires comme la Pologne ou la Bulgarie, défend une alternative technologique que beaucoup avaient laissé de côté : les biocarburants. Ces substances, souvent fabriquées à partir de biomasse comme les huiles végétales, les résidus agricoles ou les déchets organiques, ont une promesse audacieuse : rendre les moteurs thermiques neutres en carbone. Oui, vous avez bien lu : des moteurs thermiques sans CO2.

Mais tout cela, pour l'Europe, ressemble à une remise en cause d'un parcours déjà balisé. Depuis plusieurs années, la Commission européenne avance un agenda clair : électrification de la mobilité sous toutes ses formes. Il y a eu des usines de batteries massivement subventionnées, des plans de déploiement des bornes de recharge et des milliards d’euros injectés pour soutenir ces transformations. Alors, pourquoi certains membres refusent-ils de monter à bord du "train électrique" ? La réponse tient, peut-être, en deux mots : pragmatisme industriel.

Les italiens prônent l'agnostisme technologique

Les pro-biocarburants avancent un argument clé : celui de la neutralité technologique. À leurs yeux, en misant tout sur l’électrique, l’Europe fait l’erreur de verrouiller une solution unique et ignore l'immense potentiel des innovations émergentes. L’industrie automobile européenne, notamment son segment de luxe symbolisé par Ferrari et Lamborghini en Italie, a construit sa réputation sur les moteurs thermiques gloutons – certes – mais aussi intemporels et passionnants. Réinventer ces bijous mécaniques avec des carburants propres offre la promesse d’une continuité entre tradition et modernité, plutôt que de briser net des décennies de savoir-faire.

D’autres pays s’associent à cette vision. L’Allemagne, grand acteur de l’industrie automobile, a récemment obtenu une dérogation permettant l’utilisation de carburants synthétiques (ou e-carburants) pour certaines catégories de véhicules après 2035. Une victoire surprise qui a ouvert une brèche dans la réglementation. Rome sait que cette fissure peut être exploitée pour pousser encore davantage l’idée des biocarburants. L’enjeu est capital : pourquoi abandonner des infrastructures thermiques existantes, alors que des technologies promettent de les rendre compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique ?

Cependant, aligner ambition technique et réalité économique n’est jamais simple. Les détracteurs des biocarburants ne manquent pas de faire entendre leur voix. Selon eux, la production de ces carburants reste marginale et coûteuse. L’Europe aurait tout à perdre à laisser prospérer une technologie qui pourrait tout simplement être incapable de répondre à la demande à grande échelle. Par ailleurs, le rendement énergétique des biocarburants est critiqué. Transformer la biomasse en énergie carburable demande des ressources et des efforts qui, selon les opposants, seraient mieux alloués à renforcer les énergies renouvelables et les batteries pour véhicules électriques.

Mais les arguments financiers ne sont pas les seuls à nourrir les tensions. Les organisations environnementales observent ce débat avec méfiance aussi. Si les biocarburants semblent montrer un fort potentiel dans certains contextes, les processus industriels derrière leur production sont, pour beaucoup, encore loin d’être neutres. Les risques de dégradation des terres agricoles pour produire en masse ces carburants, ou encore l’impact indirect sur la biodiversité, posent de nombreuses questions. Pour certains militants écologistes, introduire les biocarburants dans l’équation pourrait même distraire l’Union Européenne de son objectif principal : réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre, et rapidement.

Le risque d'une nouvelle dépendance aux métaux

En toile de fond, c’est aussi une question géopolitique qui se joue. Passer à 100 % électrique implique une forte dépendance à des ressources comme le lithium, nécessaire pour fabriquer les batteries. Ce minerai est aujourd’hui majoritairement extrait dans des pays en dehors de l’UE, comme la Chine ou le Chili. L'Italie et ses alliés voient dans les biocarburants une manière de s’affranchir partiellement de cette dépendance, en produisant localement une part plus importante de leurs besoins énergétiques. Ce sont finalement deux visions du futur énergétique qui s’opposent : l’une basée sur un réseau centralisé et des minéraux critiques, l'autre sur une diversité de solutions.

Le volontarisme vert de l'UE remis en question

Et l’Union dans tout ça ? Avec ce débat, c’est l’un des piliers de son programme vert qui vacille. La promesse d’un "pacte vert" pour l’Europe reposait sur l’idée qu’une transformation économique unie pourrait renforcer son leadership. Mais l’électrification massive pose des contraintes particulièrement lourdes pour les pays les moins riches de l’UE, ceux dont les systèmes énergétiques sont encore peu avancés. Les biocarburants, en revanche, représentent une option plus modulable, qui pourrait être plus facilement adoptée sans bouleverser autant d’écosystèmes industriels.

Rationnellement, il paraît clair que les biocarburants ne sont pas une solution miracle capable de remplacer l'électrique à elles seules. Mais faut-il pour autant en faire une option marginale ? La courbe d’innovation des dernières décennies a montré que la technologie peut surprendre quand on lui donne de l’espace pour se développer. Peut-être que l’Europe aurait tout intérêt à jouer de la complémentarité entre les deux approches, plutôt que d’écraser l’une au profit de l’autre.

Dans les mois à venir, ce débat ne devrait cesser de s’intensifier. Derrière les discours politiques et les démonstrations scientifiques, c’est un choix civilisationnel qui est à faire : relancer un vieux moteur avec du carburant propre, ou croire à l’essor incontestable des batteries dans une ère entièrement électrique. Une chose est sûre : dans cette course à l’avenir, l’Europe ne pourra pas se permettre de rester en panne d’idées.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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2035 sans moteur thermique ? L'Europe divisée face à l'alternative des biocarburants

Publié le
December 12, 2024
, mis à jour le
12/12/24
December 12, 2024

La transition énergétique de l’automobile européenne est en pleine tempête. Alors que l’Union Européenne a acté la fin des moteurs thermiques neufs en 2035, l’Italie et ses alliés remettent en question cette décision. Portant haut l’étendard des biocarburants, ces pays appellent à une révision qui bouleverserait le calendrier. S'agit-il d'un coup de frein à l’électrification ou d’un pas vers un futur plus pragmatique ?

Vers la mobilité électrique à marche forcée

2035. Une date désormais gravée dans les annales de la transition écologique européenne. Cette échéance sonne le glas des ventes de voitures neuves à moteur thermique, promulguée comme un tournant historique vers une mobilité entièrement décarbonée. Pourtant, au fil des mois, un vent de contestation souffle sur le Vieux Continent. Au cœur de ce tumulte, Rome et ses alliés : des nations qui croient encore en une autre voie, celle des biocarburants. Mais derrière les joutes politiques, ce débat soulève une question fondamentale : l'Europe peut-elle réellement concentrer tout son avenir automobile sur l'électrique ?

L'Italie, pays de la dolce vita et des supercars vrombissantes, n'a jamais caché son scepticisme face à la transition "tout électrique". Or, ce qui était jusqu’ici murmuré dans les couloirs bruxellois prend aujourd’hui la forme d’une offensive diplomatique. Giorgia Meloni, la Première ministre italienne, entourée de partenaires comme la Pologne ou la Bulgarie, défend une alternative technologique que beaucoup avaient laissé de côté : les biocarburants. Ces substances, souvent fabriquées à partir de biomasse comme les huiles végétales, les résidus agricoles ou les déchets organiques, ont une promesse audacieuse : rendre les moteurs thermiques neutres en carbone. Oui, vous avez bien lu : des moteurs thermiques sans CO2.

Mais tout cela, pour l'Europe, ressemble à une remise en cause d'un parcours déjà balisé. Depuis plusieurs années, la Commission européenne avance un agenda clair : électrification de la mobilité sous toutes ses formes. Il y a eu des usines de batteries massivement subventionnées, des plans de déploiement des bornes de recharge et des milliards d’euros injectés pour soutenir ces transformations. Alors, pourquoi certains membres refusent-ils de monter à bord du "train électrique" ? La réponse tient, peut-être, en deux mots : pragmatisme industriel.

Les italiens prônent l'agnostisme technologique

Les pro-biocarburants avancent un argument clé : celui de la neutralité technologique. À leurs yeux, en misant tout sur l’électrique, l’Europe fait l’erreur de verrouiller une solution unique et ignore l'immense potentiel des innovations émergentes. L’industrie automobile européenne, notamment son segment de luxe symbolisé par Ferrari et Lamborghini en Italie, a construit sa réputation sur les moteurs thermiques gloutons – certes – mais aussi intemporels et passionnants. Réinventer ces bijous mécaniques avec des carburants propres offre la promesse d’une continuité entre tradition et modernité, plutôt que de briser net des décennies de savoir-faire.

D’autres pays s’associent à cette vision. L’Allemagne, grand acteur de l’industrie automobile, a récemment obtenu une dérogation permettant l’utilisation de carburants synthétiques (ou e-carburants) pour certaines catégories de véhicules après 2035. Une victoire surprise qui a ouvert une brèche dans la réglementation. Rome sait que cette fissure peut être exploitée pour pousser encore davantage l’idée des biocarburants. L’enjeu est capital : pourquoi abandonner des infrastructures thermiques existantes, alors que des technologies promettent de les rendre compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique ?

Cependant, aligner ambition technique et réalité économique n’est jamais simple. Les détracteurs des biocarburants ne manquent pas de faire entendre leur voix. Selon eux, la production de ces carburants reste marginale et coûteuse. L’Europe aurait tout à perdre à laisser prospérer une technologie qui pourrait tout simplement être incapable de répondre à la demande à grande échelle. Par ailleurs, le rendement énergétique des biocarburants est critiqué. Transformer la biomasse en énergie carburable demande des ressources et des efforts qui, selon les opposants, seraient mieux alloués à renforcer les énergies renouvelables et les batteries pour véhicules électriques.

Mais les arguments financiers ne sont pas les seuls à nourrir les tensions. Les organisations environnementales observent ce débat avec méfiance aussi. Si les biocarburants semblent montrer un fort potentiel dans certains contextes, les processus industriels derrière leur production sont, pour beaucoup, encore loin d’être neutres. Les risques de dégradation des terres agricoles pour produire en masse ces carburants, ou encore l’impact indirect sur la biodiversité, posent de nombreuses questions. Pour certains militants écologistes, introduire les biocarburants dans l’équation pourrait même distraire l’Union Européenne de son objectif principal : réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre, et rapidement.

Le risque d'une nouvelle dépendance aux métaux

En toile de fond, c’est aussi une question géopolitique qui se joue. Passer à 100 % électrique implique une forte dépendance à des ressources comme le lithium, nécessaire pour fabriquer les batteries. Ce minerai est aujourd’hui majoritairement extrait dans des pays en dehors de l’UE, comme la Chine ou le Chili. L'Italie et ses alliés voient dans les biocarburants une manière de s’affranchir partiellement de cette dépendance, en produisant localement une part plus importante de leurs besoins énergétiques. Ce sont finalement deux visions du futur énergétique qui s’opposent : l’une basée sur un réseau centralisé et des minéraux critiques, l'autre sur une diversité de solutions.

Le volontarisme vert de l'UE remis en question

Et l’Union dans tout ça ? Avec ce débat, c’est l’un des piliers de son programme vert qui vacille. La promesse d’un "pacte vert" pour l’Europe reposait sur l’idée qu’une transformation économique unie pourrait renforcer son leadership. Mais l’électrification massive pose des contraintes particulièrement lourdes pour les pays les moins riches de l’UE, ceux dont les systèmes énergétiques sont encore peu avancés. Les biocarburants, en revanche, représentent une option plus modulable, qui pourrait être plus facilement adoptée sans bouleverser autant d’écosystèmes industriels.

Rationnellement, il paraît clair que les biocarburants ne sont pas une solution miracle capable de remplacer l'électrique à elles seules. Mais faut-il pour autant en faire une option marginale ? La courbe d’innovation des dernières décennies a montré que la technologie peut surprendre quand on lui donne de l’espace pour se développer. Peut-être que l’Europe aurait tout intérêt à jouer de la complémentarité entre les deux approches, plutôt que d’écraser l’une au profit de l’autre.

Dans les mois à venir, ce débat ne devrait cesser de s’intensifier. Derrière les discours politiques et les démonstrations scientifiques, c’est un choix civilisationnel qui est à faire : relancer un vieux moteur avec du carburant propre, ou croire à l’essor incontestable des batteries dans une ère entièrement électrique. Une chose est sûre : dans cette course à l’avenir, l’Europe ne pourra pas se permettre de rester en panne d’idées.

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