Le 15 novembre 2024, une annonce a secoué l’industrie européenne des batteries : Northvolt, le champion suédois des batteries électriques, se déclarait en faillite, incapable de poursuivre ses activités malgré des levées de fonds spectaculaires et des ambitions à l’échelle mondiale. Cette chute brutale, bien au-delà d’un simple revers pour l’entreprise, éclaire de manière frappante les défis structurels auxquels l’Europe fait face dans la compétition économique mondiale.
En 2015, lorsqu’un certain Peter Carlsson, ancien cadre de Tesla, annonce le lancement de Northvolt, l’Europe entrevoit une lueur d’espoir dans la course aux batteries électriques. Le défi est immense : à cette époque, plus de 80 % des batteries lithium-ion dans le monde sont produites en Chine. Carlsson et son équipe promettent alors de réduire cette dépendance en construisant une industrie locale capable de concurrencer les géants asiatiques.
L’idée prend rapidement. Northvolt lève 13 milliards d’euros en moins d’une décennie, fédérant investisseurs privés, constructeurs automobiles et subventions publiques. En 2021, la production démarre dans une gigafactory flambant neuve à Skellefteå, en Suède, saluée comme une victoire symbolique dans le combat pour la souveraineté industrielle européenne.
Mais derrière cette façade, les défis s’accumulent.
En 2022, Carlsson déclarait à la presse : « Ce n’est pas simplement une usine que nous construisons, c’est l’avenir énergétique de l’Europe. » Pourtant, cet avenir a rapidement pris un tour inquiétant.
Les premiers mois de production sont marqués par des problèmes techniques. Des équipements industriels importés de Chine, censés automatiser une grande partie de la production, se révèlent moins fiables que prévu. Les retards s’accumulent, frustrant les partenaires comme BMW et Volkswagen, qui attendent des livraisons pour alimenter leurs gammes de véhicules électriques.
Parallèlement, le marché mondial connaît un ralentissement inattendu. Après une décennie d’euphorie, la demande pour les véhicules électriques, moteur principal de Northvolt, marque le pas en 2024. En Europe, la croissance des ventes de voitures électriques chute à 13 % au premier trimestre, contre 14,6 % l’année précédente. Les constructeurs automobiles, déjà ébranlés par la hausse des coûts des matières premières, réduisent leurs commandes.
Le coup de grâce survient en juin 2024, lorsque BMW annule un contrat de 2 milliards d’euros, citant des retards de livraison. « Nous ne pouvons pas risquer de retarder nos propres objectifs à cause d’un fournisseur », confie un cadre du constructeur allemand sous couvert d’anonymat. Pour Northvolt, c’est une catastrophe.
Malgré ses succès initiaux, Northvolt s’avère incapable de résister à la concurrence acharnée des fabricants asiatiques. La Chine, en particulier, domine grâce à une production de masse à bas coût et à un contrôle quasi-monopolistique sur les matières premières stratégiques comme le lithium et le cobalt.
En 2024, les batteries chinoises inondent le marché européen à des prix défiant toute concurrence, poussant Northvolt dans une guerre des prix qu’elle ne peut gagner. Les marges se réduisent, et les pertes s’accumulent : 1,1 milliard d’euros en 2023, malgré une production croissante. L'Europe, quant à elle, malgré des rêves affirmés de souveraineté dans ce secteur, se montre incapable de lutter à armes égales avec ses rivaux. Pour preuve, la faiblesse chronique du soutien européen : les aides sont éparses, estimées à moins de 50 milliards d’euros quant elles s'élèvent à 369 Milliards de dollars aux Etats-Unis sur la même période.
À l’été 2024, Northvolt tente désespérément de trouver de nouveaux investisseurs. Volkswagen et Goldman Sachs, pourtant soutiens historiques, hésitent à injecter davantage de capitaux dans une entreprise qu’ils jugent trop risquée. « Les signaux d’alerte étaient clairs depuis un moment, mais personne ne voulait les voir », explique un analyste financier basé à Francfort.
En septembre, la situation devient critique : Northvolt licencie 1 600 employés, soit 20 % de sa main-d’œuvre, pour tenter de réduire ses coûts. Mais cela ne suffit pas. En novembre, avec seulement 30 millions de dollars en caisse, l’entreprise n’a plus les moyens de payer ses fournisseurs.
L’annonce de la faillite de Northvolt dépasse largement le cadre de l’entreprise. Elle représente un coup dur pour l’industrie européenne des batteries, perçue comme un pilier de la transition énergétique.
Les projets de gigafactories en Allemagne et au Canada, qui devaient renforcer l’autonomie européenne, sont suspendus. Les constructeurs automobiles, qui comptaient sur Northvolt pour sécuriser leurs approvisionnements, se tournent à nouveau vers les fournisseurs asiatiques.
La faillite de Northvolt souligne également les limites des politiques industrielles européennes. Contrairement aux États-Unis, où l’Inflation Reduction Act (IRA) offre des subventions massives aux entreprises du secteur, l’Europe manque de coordination et de financements comparables. Résultat : des entreprises comme Northvolt sont livrées à elles-mêmes dans une compétition mondiale féroce.
La chute de Northvolt illustre la dynamique complexe de la compétition entre l’Europe, les États-Unis et la Chine.
Pour les experts, cette rivalité ne se limite pas à des questions économiques. « La bataille des batteries est avant tout une bataille pour la souveraineté énergétique », affirme Julia Lambert, chercheuse en géopolitique. « Celui qui contrôle la chaîne d’approvisionnement des batteries contrôle une partie essentielle de l’économie mondiale du futur. »
La faillite de Northvolt est une leçon pour l’Europe. Elle montre à quel point il est difficile de bâtir une industrie compétitive face à des géants asiatiques et américains, mais elle souligne aussi les opportunités qui restent à saisir.
L’Europe peut encore rebondir en misant sur l’innovation et la collaboration. Des technologies émergentes, comme les batteries solides ou les solutions de recyclage avancées, offrent des perspectives intéressantes. De même, une meilleure coordination entre les États membres pourrait permettre de renforcer la résilience de l’écosystème industriel européen.
Pour Peter Carlsson, qui a démissionné peu avant l’annonce de la faillite, l’histoire de Northvolt n’est pas nécessairement terminée. « Nous avons ouvert une voie », déclarait-il récemment à un journal suédois. « Peut-être que d’autres, mieux préparés, parviendront à la suivre. »
L’histoire de Northvolt est celle d’une ambition démesurée et d’une réalité économique implacable. Si sa chute marque un revers, elle est aussi une invitation à repenser les stratégies industrielles de l’Europe dans un monde de plus en plus polarisé.
L’échec d’un géant peut-il devenir la graine d’une renaissance ? L’Europe doit, pour cela, regarder au-delà des échecs et trouver les moyens de s’imposer dans une compétition mondiale où chaque décision compte.
Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.
Le 15 novembre 2024, une annonce a secoué l’industrie européenne des batteries : Northvolt, le champion suédois des batteries électriques, se déclarait en faillite, incapable de poursuivre ses activités malgré des levées de fonds spectaculaires et des ambitions à l’échelle mondiale. Cette chute brutale, bien au-delà d’un simple revers pour l’entreprise, éclaire de manière frappante les défis structurels auxquels l’Europe fait face dans la compétition économique mondiale.
En 2015, lorsqu’un certain Peter Carlsson, ancien cadre de Tesla, annonce le lancement de Northvolt, l’Europe entrevoit une lueur d’espoir dans la course aux batteries électriques. Le défi est immense : à cette époque, plus de 80 % des batteries lithium-ion dans le monde sont produites en Chine. Carlsson et son équipe promettent alors de réduire cette dépendance en construisant une industrie locale capable de concurrencer les géants asiatiques.
L’idée prend rapidement. Northvolt lève 13 milliards d’euros en moins d’une décennie, fédérant investisseurs privés, constructeurs automobiles et subventions publiques. En 2021, la production démarre dans une gigafactory flambant neuve à Skellefteå, en Suède, saluée comme une victoire symbolique dans le combat pour la souveraineté industrielle européenne.
Mais derrière cette façade, les défis s’accumulent.
En 2022, Carlsson déclarait à la presse : « Ce n’est pas simplement une usine que nous construisons, c’est l’avenir énergétique de l’Europe. » Pourtant, cet avenir a rapidement pris un tour inquiétant.
Les premiers mois de production sont marqués par des problèmes techniques. Des équipements industriels importés de Chine, censés automatiser une grande partie de la production, se révèlent moins fiables que prévu. Les retards s’accumulent, frustrant les partenaires comme BMW et Volkswagen, qui attendent des livraisons pour alimenter leurs gammes de véhicules électriques.
Parallèlement, le marché mondial connaît un ralentissement inattendu. Après une décennie d’euphorie, la demande pour les véhicules électriques, moteur principal de Northvolt, marque le pas en 2024. En Europe, la croissance des ventes de voitures électriques chute à 13 % au premier trimestre, contre 14,6 % l’année précédente. Les constructeurs automobiles, déjà ébranlés par la hausse des coûts des matières premières, réduisent leurs commandes.
Le coup de grâce survient en juin 2024, lorsque BMW annule un contrat de 2 milliards d’euros, citant des retards de livraison. « Nous ne pouvons pas risquer de retarder nos propres objectifs à cause d’un fournisseur », confie un cadre du constructeur allemand sous couvert d’anonymat. Pour Northvolt, c’est une catastrophe.
Malgré ses succès initiaux, Northvolt s’avère incapable de résister à la concurrence acharnée des fabricants asiatiques. La Chine, en particulier, domine grâce à une production de masse à bas coût et à un contrôle quasi-monopolistique sur les matières premières stratégiques comme le lithium et le cobalt.
En 2024, les batteries chinoises inondent le marché européen à des prix défiant toute concurrence, poussant Northvolt dans une guerre des prix qu’elle ne peut gagner. Les marges se réduisent, et les pertes s’accumulent : 1,1 milliard d’euros en 2023, malgré une production croissante. L'Europe, quant à elle, malgré des rêves affirmés de souveraineté dans ce secteur, se montre incapable de lutter à armes égales avec ses rivaux. Pour preuve, la faiblesse chronique du soutien européen : les aides sont éparses, estimées à moins de 50 milliards d’euros quant elles s'élèvent à 369 Milliards de dollars aux Etats-Unis sur la même période.
À l’été 2024, Northvolt tente désespérément de trouver de nouveaux investisseurs. Volkswagen et Goldman Sachs, pourtant soutiens historiques, hésitent à injecter davantage de capitaux dans une entreprise qu’ils jugent trop risquée. « Les signaux d’alerte étaient clairs depuis un moment, mais personne ne voulait les voir », explique un analyste financier basé à Francfort.
En septembre, la situation devient critique : Northvolt licencie 1 600 employés, soit 20 % de sa main-d’œuvre, pour tenter de réduire ses coûts. Mais cela ne suffit pas. En novembre, avec seulement 30 millions de dollars en caisse, l’entreprise n’a plus les moyens de payer ses fournisseurs.
L’annonce de la faillite de Northvolt dépasse largement le cadre de l’entreprise. Elle représente un coup dur pour l’industrie européenne des batteries, perçue comme un pilier de la transition énergétique.
Les projets de gigafactories en Allemagne et au Canada, qui devaient renforcer l’autonomie européenne, sont suspendus. Les constructeurs automobiles, qui comptaient sur Northvolt pour sécuriser leurs approvisionnements, se tournent à nouveau vers les fournisseurs asiatiques.
La faillite de Northvolt souligne également les limites des politiques industrielles européennes. Contrairement aux États-Unis, où l’Inflation Reduction Act (IRA) offre des subventions massives aux entreprises du secteur, l’Europe manque de coordination et de financements comparables. Résultat : des entreprises comme Northvolt sont livrées à elles-mêmes dans une compétition mondiale féroce.
La chute de Northvolt illustre la dynamique complexe de la compétition entre l’Europe, les États-Unis et la Chine.
Pour les experts, cette rivalité ne se limite pas à des questions économiques. « La bataille des batteries est avant tout une bataille pour la souveraineté énergétique », affirme Julia Lambert, chercheuse en géopolitique. « Celui qui contrôle la chaîne d’approvisionnement des batteries contrôle une partie essentielle de l’économie mondiale du futur. »
La faillite de Northvolt est une leçon pour l’Europe. Elle montre à quel point il est difficile de bâtir une industrie compétitive face à des géants asiatiques et américains, mais elle souligne aussi les opportunités qui restent à saisir.
L’Europe peut encore rebondir en misant sur l’innovation et la collaboration. Des technologies émergentes, comme les batteries solides ou les solutions de recyclage avancées, offrent des perspectives intéressantes. De même, une meilleure coordination entre les États membres pourrait permettre de renforcer la résilience de l’écosystème industriel européen.
Pour Peter Carlsson, qui a démissionné peu avant l’annonce de la faillite, l’histoire de Northvolt n’est pas nécessairement terminée. « Nous avons ouvert une voie », déclarait-il récemment à un journal suédois. « Peut-être que d’autres, mieux préparés, parviendront à la suivre. »
L’histoire de Northvolt est celle d’une ambition démesurée et d’une réalité économique implacable. Si sa chute marque un revers, elle est aussi une invitation à repenser les stratégies industrielles de l’Europe dans un monde de plus en plus polarisé.
L’échec d’un géant peut-il devenir la graine d’une renaissance ? L’Europe doit, pour cela, regarder au-delà des échecs et trouver les moyens de s’imposer dans une compétition mondiale où chaque décision compte.