politique

Choose France for Science : promesse ou mirage pour les chercheurs américains ?

Entre ambitions affichées et réalités contrariées, la France peut-elle redevenir une terre de science et attirer les cerveaux américains?

Publié le
29/4/25
, mis à jour le
29/4/25
April 29, 2025

Face aux coupes brutales de budget sur la recherche aux États-Unis sous Trump, la France voit une opportunité dorée : attirer les meilleurs cerveaux américains. Programme d’accueil séduisant, volontarisme politique assumé, promesse d'un environnement académique de qualité... Mais derrière l'enthousiasme des annonces, les défis sont gigantesques. Peut-on réellement espérer capitaliser sur la fuite des talents américains sans repenser en profondeur notre propre modèle scientifique ?

La scène ressemble à un jeu d’échecs silencieux où chaque pays tente, doigt léger sur les pièces, d’attirer les plus brillants esprits du monde. En 2017, Donald Trump, par son « America First » et ses budgets drastiquement rabotés pour la recherche scientifique, met en branle une déferlante inédite : des centaines de chercheurs de haut niveau, déstabilisés, commencent à chercher un nouveau terreau fertile pour leurs travaux. C’est alors que la France, flairant une opportunité rare, décide de se lancer résolument dans la bataille. Derrière des slogans affutés, le gouvernement dévoile « Choose France for Science », une initiative aussi ambitieuse que périlleuse pour faire de notre pays la nouvelle destination de la science mondiale.

Mais séduire n’est pas conquérir.

Le grand pari de l'après-Trump

Lorsque Trump sabre dans les budgets de la National Science Foundation (NSF) et gèle certains financements pour les projets liés au climat ou à la santé publique, de nombreux chercheurs américains expérimentent, pour la première fois, la précarité institutionnelle. Habitués à des financements conséquents et à une relative autonomie, ils voient leur horizon se boucher en quelques mois. Cela provoque un mouvement aussi massif que discret : laboratoires fermés, collaborations arrêtées, projets avortés.

Pour la France, où l'on considère encore la science comme un pilier de la grandeur nationale (au moins en théorie), c’est l’occasion rêvée. Emmanuel Macron se positionne rapidement en champion de l’attractivité scientifique européenne. Son slogan « Make Our Planet Great Again » en réponse provocante à Trump, avait déjà donné le ton : Paris ne cache plus ses ambitions de carrefour mondial pour l'innovation.

Un programme séduisant... sur le papier

Le plan Choose France for Science a de quoi séduire : installation facilitée, financement initial relativement attractif via des bourses et des packages de bienvenue, aides à l’intégration familiale, promesses d’un écosystème académique dense — de Saclay à Grenoble en passant par Toulouse et Marseille. 

La vitrine est belle. La volonté politique indéniable. Et certains premiers résultats enthousiasmants : quelques têtes d’affiche, à la renommée mondiale, ont effectivement choisi de poser leurs valises sur notre sol.

Mais une belle vitrine ne fait pas une maison confortable.

Les faiblesses structurelles d'une ambition

À y regarder de plus près, derrière les conférences de presse et les brochures séduisantes, bien des failles émergent. L’une des premières : la lourdeur administrative typiquement française. Obtenir un visa de travail, monter un projet de recherche, débloquer des fonds, rendre des comptes aux multiples échelons bureaucratiques... autant de parcours d’obstacles qui sont à mille lieues de l’agilité des institutions américaines.

Ensuite, le financement récurrent de la recherche en France reste notoirement sous-calibré : entre promesses politiques et réalité budgétaire, il y a souvent un gouffre. Les chercheurs venus des États-Unis, qui bénéficiaient parfois de plusieurs millions de dollars pour piloter leurs propres laboratoires, se retrouvent souvent découragés par l’étroitesse des budgets offerts ici. 

Le salaire, également, pèse lourd dans la balance. Si les Américains sont habitués à des rémunérations confortables, celles pratiquées en France, même agrémentées de primes et d’avantages ponctuels, demeurent pâles en comparaison. Et ce, sans évoquer la pression fiscale française qui, pour celui qui débarque tout droit de Californie ou du Massachusetts, peut être vécue comme un choc.

L’écosystème en question

Un autre écueil réside dans la structuration même de la recherche française. Historiquement fondée sur des grandes institutions publiques — CNRS, INSERM, INRIA — cloisonnées, la culture française peine encore à hybridiser ses forces entre la recherche académique, privée et entrepreneuriale.

Les États-Unis, eux, offrent un écosystème bien plus poreux : un professeur peut naviguer librement entre son laboratoire universitaire, une start-up biotech et des contrats industriels. En France, cette fluidité reste embryonnaire. Or, pour nombre de chercheurs transatlantiques, la capacité à valoriser les découvertes, à entreprendre, à breveter rapidement est aussi importante que le prestige académique.

Relancer la machine : un défi d'envergure

Pour espérer capter durablement des talents de très haut niveau, la France devra aller au-delà des slogans. Il lui faudra réformer en profondeur son modèle de recherche :

Assouplir les procédures, en limitant la paperasse et multipliant les guichets uniques pour l’accueil des chercheurs internationaux.

Revaloriser massivement l’investissement public dans la recherche scientifique, non seulement en promettant des enveloppes exceptionnelles, mais en garantissant une continuité pluriannuelle sur des axes de recherche stratégiques.

Instaurer une vraie stratégie d'internationalisation, avec des pôles de recherche clairement visibles, attractifs, dotés d’autonomie de gestion et de budgets conséquents.

Favoriser la mobilité entre recherche publique et privée, assouplissant les réglementations sur les start-ups issues de laboratoires, simplifiant l'obtention des brevets, et délestant les chercheurs de lourdeurs administratives dissuasives.

Et surtout, envoyer un message clair et constant : faire de la science une priorité nationale, pas seulement au gré des crises politiques.

Un vent d'opportunité, mais un souffle court ?

Pour l'heure, malgré quelques succès médiatiques et la visibilité de certaines annonces, le flux de chercheurs américains vers la France reste timide. Beaucoup privilégient le Canada, qui offre un cadre académique plus libéral et de meilleurs leviers financiers, ou encore l'Allemagne, dont l'investissement scientifique est plus stable et visible.

La France a toutes les cartes pour s'imposer, à condition de ne pas rejouer les mêmes erreurs qui, par le passé, ont miné son attractivité : complexité, frilosité, lourdeur. Car l’excellence scientifique mondiale ne s'achète pas à coups de campagnes publicitaires : elle se cultive, elle se construit, elle se finance.

Les prochains mois seront décisifs. Car au-delà des chercheurs américains déçus par l'ère Trump, ce sont les nouvelles générations de talents mondiaux que la France devra convaincre, avant que d’autres pays plus agiles ne raflent la mise.

L’avenir de la France scientifique est peut-être là, suspendu entre deux choix : persévérer dans la promesse ou choisir enfin la réforme.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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Choose France for Science : promesse ou mirage pour les chercheurs américains ?

Publié le
April 29, 2025
, mis à jour le
29/4/25
April 29, 2025

Face aux coupes brutales de budget sur la recherche aux États-Unis sous Trump, la France voit une opportunité dorée : attirer les meilleurs cerveaux américains. Programme d’accueil séduisant, volontarisme politique assumé, promesse d'un environnement académique de qualité... Mais derrière l'enthousiasme des annonces, les défis sont gigantesques. Peut-on réellement espérer capitaliser sur la fuite des talents américains sans repenser en profondeur notre propre modèle scientifique ?

La scène ressemble à un jeu d’échecs silencieux où chaque pays tente, doigt léger sur les pièces, d’attirer les plus brillants esprits du monde. En 2017, Donald Trump, par son « America First » et ses budgets drastiquement rabotés pour la recherche scientifique, met en branle une déferlante inédite : des centaines de chercheurs de haut niveau, déstabilisés, commencent à chercher un nouveau terreau fertile pour leurs travaux. C’est alors que la France, flairant une opportunité rare, décide de se lancer résolument dans la bataille. Derrière des slogans affutés, le gouvernement dévoile « Choose France for Science », une initiative aussi ambitieuse que périlleuse pour faire de notre pays la nouvelle destination de la science mondiale.

Mais séduire n’est pas conquérir.

Le grand pari de l'après-Trump

Lorsque Trump sabre dans les budgets de la National Science Foundation (NSF) et gèle certains financements pour les projets liés au climat ou à la santé publique, de nombreux chercheurs américains expérimentent, pour la première fois, la précarité institutionnelle. Habitués à des financements conséquents et à une relative autonomie, ils voient leur horizon se boucher en quelques mois. Cela provoque un mouvement aussi massif que discret : laboratoires fermés, collaborations arrêtées, projets avortés.

Pour la France, où l'on considère encore la science comme un pilier de la grandeur nationale (au moins en théorie), c’est l’occasion rêvée. Emmanuel Macron se positionne rapidement en champion de l’attractivité scientifique européenne. Son slogan « Make Our Planet Great Again » en réponse provocante à Trump, avait déjà donné le ton : Paris ne cache plus ses ambitions de carrefour mondial pour l'innovation.

Un programme séduisant... sur le papier

Le plan Choose France for Science a de quoi séduire : installation facilitée, financement initial relativement attractif via des bourses et des packages de bienvenue, aides à l’intégration familiale, promesses d’un écosystème académique dense — de Saclay à Grenoble en passant par Toulouse et Marseille. 

La vitrine est belle. La volonté politique indéniable. Et certains premiers résultats enthousiasmants : quelques têtes d’affiche, à la renommée mondiale, ont effectivement choisi de poser leurs valises sur notre sol.

Mais une belle vitrine ne fait pas une maison confortable.

Les faiblesses structurelles d'une ambition

À y regarder de plus près, derrière les conférences de presse et les brochures séduisantes, bien des failles émergent. L’une des premières : la lourdeur administrative typiquement française. Obtenir un visa de travail, monter un projet de recherche, débloquer des fonds, rendre des comptes aux multiples échelons bureaucratiques... autant de parcours d’obstacles qui sont à mille lieues de l’agilité des institutions américaines.

Ensuite, le financement récurrent de la recherche en France reste notoirement sous-calibré : entre promesses politiques et réalité budgétaire, il y a souvent un gouffre. Les chercheurs venus des États-Unis, qui bénéficiaient parfois de plusieurs millions de dollars pour piloter leurs propres laboratoires, se retrouvent souvent découragés par l’étroitesse des budgets offerts ici. 

Le salaire, également, pèse lourd dans la balance. Si les Américains sont habitués à des rémunérations confortables, celles pratiquées en France, même agrémentées de primes et d’avantages ponctuels, demeurent pâles en comparaison. Et ce, sans évoquer la pression fiscale française qui, pour celui qui débarque tout droit de Californie ou du Massachusetts, peut être vécue comme un choc.

L’écosystème en question

Un autre écueil réside dans la structuration même de la recherche française. Historiquement fondée sur des grandes institutions publiques — CNRS, INSERM, INRIA — cloisonnées, la culture française peine encore à hybridiser ses forces entre la recherche académique, privée et entrepreneuriale.

Les États-Unis, eux, offrent un écosystème bien plus poreux : un professeur peut naviguer librement entre son laboratoire universitaire, une start-up biotech et des contrats industriels. En France, cette fluidité reste embryonnaire. Or, pour nombre de chercheurs transatlantiques, la capacité à valoriser les découvertes, à entreprendre, à breveter rapidement est aussi importante que le prestige académique.

Relancer la machine : un défi d'envergure

Pour espérer capter durablement des talents de très haut niveau, la France devra aller au-delà des slogans. Il lui faudra réformer en profondeur son modèle de recherche :

Assouplir les procédures, en limitant la paperasse et multipliant les guichets uniques pour l’accueil des chercheurs internationaux.

Revaloriser massivement l’investissement public dans la recherche scientifique, non seulement en promettant des enveloppes exceptionnelles, mais en garantissant une continuité pluriannuelle sur des axes de recherche stratégiques.

Instaurer une vraie stratégie d'internationalisation, avec des pôles de recherche clairement visibles, attractifs, dotés d’autonomie de gestion et de budgets conséquents.

Favoriser la mobilité entre recherche publique et privée, assouplissant les réglementations sur les start-ups issues de laboratoires, simplifiant l'obtention des brevets, et délestant les chercheurs de lourdeurs administratives dissuasives.

Et surtout, envoyer un message clair et constant : faire de la science une priorité nationale, pas seulement au gré des crises politiques.

Un vent d'opportunité, mais un souffle court ?

Pour l'heure, malgré quelques succès médiatiques et la visibilité de certaines annonces, le flux de chercheurs américains vers la France reste timide. Beaucoup privilégient le Canada, qui offre un cadre académique plus libéral et de meilleurs leviers financiers, ou encore l'Allemagne, dont l'investissement scientifique est plus stable et visible.

La France a toutes les cartes pour s'imposer, à condition de ne pas rejouer les mêmes erreurs qui, par le passé, ont miné son attractivité : complexité, frilosité, lourdeur. Car l’excellence scientifique mondiale ne s'achète pas à coups de campagnes publicitaires : elle se cultive, elle se construit, elle se finance.

Les prochains mois seront décisifs. Car au-delà des chercheurs américains déçus par l'ère Trump, ce sont les nouvelles générations de talents mondiaux que la France devra convaincre, avant que d’autres pays plus agiles ne raflent la mise.

L’avenir de la France scientifique est peut-être là, suspendu entre deux choix : persévérer dans la promesse ou choisir enfin la réforme.

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