politique

Sans relève agricole, la souveraineté alimentaire est-elle menacée ?

Qui remplacera les agriculteurs français vieillissants ? Une nouvelle loi tente d’apporter une réponse avant qu’il ne soit trop tard.

Publié le
20/2/25
, mis à jour le
20/2/25
February 20, 2025

Le Sénat s’apprête à finaliser un projet de loi ambitieux destiné à encourager le renouvellement des générations agricoles. Face à une crise qui vide les campagnes, où les revenus trop faibles et les normes administratives découragent les nouvelles vocations, ce texte entend faciliter la transmission des exploitations et l’accès au foncier. Mais est-ce suffisant pour enrayer le déclin ? Entre crainte d’une souveraineté alimentaire compromise et demandes pressantes des agriculteurs, ce projet de loi suscite espoir et scepticisme. Décryptage d’un enjeu crucial pour l’avenir de l’agriculture française.

L’agriculture française à la croisée des chemins  

Le constat est brut. Chaque année, la France perd des milliers d’agriculteurs sans que la relève soit assurée. L’âge moyen des exploitants frôle les 53 ans, et dans certaines régions, rares sont ceux qui trouvent un successeur avant la retraite. Pourtant, les enjeux sont colossaux : nourrir une population croissante, garantir une agriculture de proximité et préserver une souveraineté alimentaire de plus en plus menacée par une concurrence étrangère.  

Face à cette urgence, le gouvernement a porté un projet de loi visant à faciliter l’installation des nouveaux venus et à atténuer les freins administratifs qui découragent les vocations. Dans l’hémicycle, les débats sont vifs. Certains sénateurs saluent une « première pierre nécessaire », d’autres jugent le texte bien trop timide pour inverser la tendance. Une chose est certaine : l’agriculture française est en péril, et les décisions qui seront prises dans les semaines à venir pourraient conditionner l’avenir du secteur pour des décennies.  

Pourquoi les jeunes tournent le dos aux exploitations ?  

L’image du paysan laborieux et indépendant a laissé place à une réalité bien plus difficile. Travailler sept jours sur sept, affronter des normes administratives étouffantes, encaisser des revenus instables… Tout cela freine les jeunes prétendants. Il ne suffit plus d’aimer la terre pour y consacrer sa vie, il faut aussi pouvoir en vivre dignement.  

Les chiffres sont accablants. Selon la Mutualité Sociale Agricole (MSA), près d’un quart des agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois après charges. Dans ces conditions, difficile d’attirer de nouvelles générations, même celles qui ont grandi dans des familles d’agriculteurs. Nombre de jeunes préfèrent se tourner vers des métiers plus sécurisants, quitte à abandonner un héritage familial vieux de plusieurs générations.  

D’autant que le défi de la transmission s’ajoute à celui de l’installation. Acquérir des terres est un parcours du combattant, entre la rareté du foncier agricole et ses prix souvent prohibitifs. À cela s’ajoute un accès au crédit de plus en plus complexe dans un contexte économique incertain. Pour un jeune sans apport familial, devenir agriculteur relève aujourd’hui d’un véritable exploit.  

Une loi pour alléger la transmission et le foncier 

C’est là que la nouvelle loi entend jouer un rôle clé. Parmi les mesures phares, un assouplissement des dispositifs de transmission est prévu. Les exploitants proches de la retraite bénéficieront d’avantages fiscaux pour faciliter la cession de leur ferme à de jeunes agriculteurs, évitant ainsi que ces terres ne tombent entre les mains de fonds d’investissement ou soient transformées en projets immobiliers.  

Autre point majeur : la réforme du foncier. Un agriculteur souhaitant s’installer se heurte souvent à la spéculation et à une compétition féroce avec d’autres acteurs économiques. La loi prévoit donc de renforcer le rôle des collectivités locales et des organismes régulateurs pour mieux encadrer l’attribution des terres agricoles. Mais ces mesures seront-elles suffisantes ? Beaucoup restent sceptiques.  

Les agriculteurs en attente de véritables changements

Si ce projet de loi est accueilli comme une avancée, il peine toutefois à convaincre pleinement la profession. Les syndicats agricoles dénoncent des réformes « insuffisantes » qui ne s’attaquent pas aux racines du problème. Selon eux, la priorité devrait être de revaloriser massivement les revenus des agriculteurs en leur garantissant des prix rémunérateurs. À quoi bon transmettre une exploitation si celui qui la reprend ne peut pas en vivre ?  

Un autre point tend à diviser : la simplification administrative. De nombreux agriculteurs dénoncent les lourdeurs bureaucratiques qui freinent leur activité. Dans ce texte, certaines démarches seront certes allégées, mais l’ensemble du système réglementaire reste perçu comme un véritable carcan. Sans une refonte ambitieuse, beaucoup estiment que l’agriculture française continuera à souffrir.  

Une souveraineté alimentaire en balance  

Derrière ces enjeux de transmission et de renouvellement, c’est toute la question de la souveraineté alimentaire qui se pose. La France importe de plus en plus de denrées agricoles, fragilisant son autosuffisance. Si les exploitations disparaissent faute de relève, la dépendance aux produits étrangers risque de s’amplifier, exposant le pays à des crises alimentaires en cas de tensions géopolitiques ou de pénurie mondiale.  

Les récentes difficultés d’approvisionnement en blé ou en huile de tournesol liées aux crises internationales ont déjà montré cette vulnérabilité. Laisser mourir les exploitations françaises, c’est prendre le risque d’un avenir où nous ne maîtrisons plus notre propre production alimentaire.  

Un combat qui ne fait que commencer 

Le passage de ce projet de loi au Sénat marque une étape clé, mais ce n’est qu’un début. Les ajustements qui seront apportés dans les jours à venir détermineront l’impact réel du texte sur le terrain. Derrière les débats parlementaires, une réalité demeure : sans un effort massif pour garantir des conditions de vie décentes aux agriculteurs, aucun texte ne pourra convaincre les jeunes générations de reprendre le flambeau.  

Au-delà des incitations fiscales et des mesures administratives, c’est une véritable revalorisation du métier qui est attendue. Si la France veut préserver son modèle agricole, il faut qu’elle donne envie aux jeunes de s’installer durablement. Faute de quoi, nos assiettes risquent demain de dépendre presque exclusivement de productions étrangères.  

Le compte à rebours est lancé.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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Sans relève agricole, la souveraineté alimentaire est-elle menacée ?

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February 20, 2025
, mis à jour le
20/2/25
February 20, 2025

Le Sénat s’apprête à finaliser un projet de loi ambitieux destiné à encourager le renouvellement des générations agricoles. Face à une crise qui vide les campagnes, où les revenus trop faibles et les normes administratives découragent les nouvelles vocations, ce texte entend faciliter la transmission des exploitations et l’accès au foncier. Mais est-ce suffisant pour enrayer le déclin ? Entre crainte d’une souveraineté alimentaire compromise et demandes pressantes des agriculteurs, ce projet de loi suscite espoir et scepticisme. Décryptage d’un enjeu crucial pour l’avenir de l’agriculture française.

L’agriculture française à la croisée des chemins  

Le constat est brut. Chaque année, la France perd des milliers d’agriculteurs sans que la relève soit assurée. L’âge moyen des exploitants frôle les 53 ans, et dans certaines régions, rares sont ceux qui trouvent un successeur avant la retraite. Pourtant, les enjeux sont colossaux : nourrir une population croissante, garantir une agriculture de proximité et préserver une souveraineté alimentaire de plus en plus menacée par une concurrence étrangère.  

Face à cette urgence, le gouvernement a porté un projet de loi visant à faciliter l’installation des nouveaux venus et à atténuer les freins administratifs qui découragent les vocations. Dans l’hémicycle, les débats sont vifs. Certains sénateurs saluent une « première pierre nécessaire », d’autres jugent le texte bien trop timide pour inverser la tendance. Une chose est certaine : l’agriculture française est en péril, et les décisions qui seront prises dans les semaines à venir pourraient conditionner l’avenir du secteur pour des décennies.  

Pourquoi les jeunes tournent le dos aux exploitations ?  

L’image du paysan laborieux et indépendant a laissé place à une réalité bien plus difficile. Travailler sept jours sur sept, affronter des normes administratives étouffantes, encaisser des revenus instables… Tout cela freine les jeunes prétendants. Il ne suffit plus d’aimer la terre pour y consacrer sa vie, il faut aussi pouvoir en vivre dignement.  

Les chiffres sont accablants. Selon la Mutualité Sociale Agricole (MSA), près d’un quart des agriculteurs gagne moins de 350 euros par mois après charges. Dans ces conditions, difficile d’attirer de nouvelles générations, même celles qui ont grandi dans des familles d’agriculteurs. Nombre de jeunes préfèrent se tourner vers des métiers plus sécurisants, quitte à abandonner un héritage familial vieux de plusieurs générations.  

D’autant que le défi de la transmission s’ajoute à celui de l’installation. Acquérir des terres est un parcours du combattant, entre la rareté du foncier agricole et ses prix souvent prohibitifs. À cela s’ajoute un accès au crédit de plus en plus complexe dans un contexte économique incertain. Pour un jeune sans apport familial, devenir agriculteur relève aujourd’hui d’un véritable exploit.  

Une loi pour alléger la transmission et le foncier 

C’est là que la nouvelle loi entend jouer un rôle clé. Parmi les mesures phares, un assouplissement des dispositifs de transmission est prévu. Les exploitants proches de la retraite bénéficieront d’avantages fiscaux pour faciliter la cession de leur ferme à de jeunes agriculteurs, évitant ainsi que ces terres ne tombent entre les mains de fonds d’investissement ou soient transformées en projets immobiliers.  

Autre point majeur : la réforme du foncier. Un agriculteur souhaitant s’installer se heurte souvent à la spéculation et à une compétition féroce avec d’autres acteurs économiques. La loi prévoit donc de renforcer le rôle des collectivités locales et des organismes régulateurs pour mieux encadrer l’attribution des terres agricoles. Mais ces mesures seront-elles suffisantes ? Beaucoup restent sceptiques.  

Les agriculteurs en attente de véritables changements

Si ce projet de loi est accueilli comme une avancée, il peine toutefois à convaincre pleinement la profession. Les syndicats agricoles dénoncent des réformes « insuffisantes » qui ne s’attaquent pas aux racines du problème. Selon eux, la priorité devrait être de revaloriser massivement les revenus des agriculteurs en leur garantissant des prix rémunérateurs. À quoi bon transmettre une exploitation si celui qui la reprend ne peut pas en vivre ?  

Un autre point tend à diviser : la simplification administrative. De nombreux agriculteurs dénoncent les lourdeurs bureaucratiques qui freinent leur activité. Dans ce texte, certaines démarches seront certes allégées, mais l’ensemble du système réglementaire reste perçu comme un véritable carcan. Sans une refonte ambitieuse, beaucoup estiment que l’agriculture française continuera à souffrir.  

Une souveraineté alimentaire en balance  

Derrière ces enjeux de transmission et de renouvellement, c’est toute la question de la souveraineté alimentaire qui se pose. La France importe de plus en plus de denrées agricoles, fragilisant son autosuffisance. Si les exploitations disparaissent faute de relève, la dépendance aux produits étrangers risque de s’amplifier, exposant le pays à des crises alimentaires en cas de tensions géopolitiques ou de pénurie mondiale.  

Les récentes difficultés d’approvisionnement en blé ou en huile de tournesol liées aux crises internationales ont déjà montré cette vulnérabilité. Laisser mourir les exploitations françaises, c’est prendre le risque d’un avenir où nous ne maîtrisons plus notre propre production alimentaire.  

Un combat qui ne fait que commencer 

Le passage de ce projet de loi au Sénat marque une étape clé, mais ce n’est qu’un début. Les ajustements qui seront apportés dans les jours à venir détermineront l’impact réel du texte sur le terrain. Derrière les débats parlementaires, une réalité demeure : sans un effort massif pour garantir des conditions de vie décentes aux agriculteurs, aucun texte ne pourra convaincre les jeunes générations de reprendre le flambeau.  

Au-delà des incitations fiscales et des mesures administratives, c’est une véritable revalorisation du métier qui est attendue. Si la France veut préserver son modèle agricole, il faut qu’elle donne envie aux jeunes de s’installer durablement. Faute de quoi, nos assiettes risquent demain de dépendre presque exclusivement de productions étrangères.  

Le compte à rebours est lancé.

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