économie

EDF entre renaissance et tension : comment Luc Rémont tente de sécuriser l’avenir énergétique de la France

Dissolution, instabilité politique, avenir du nucléaire, profits record… Luc Rémont joue une partie serrée à la tête d’EDF

Publié le
4/3/25
, mis à jour le
4/3/25
March 4, 2025

EDF qui affiche des résultats financiers rayonnants pour 2024 évolue dans un terrain miné. Luc Rémont, son PDG, doit jongler entre un marché de l’électricité sous tension et un climat politique en pleine tourmente. Depuis la renationalisation du groupe, l’État est à la fois propriétaire et régulateur, rendant chaque décision cruciale pour l’avenir énergétique du pays. Mais alors que la dissolution de l’Assemblée nationale ajoute une dose supplémentaire d’incertitude, la stabilité financière et industrielle d’EDF est mise à l’épreuve. L’avenir du nucléaire, le contrôle des prix et les choix budgétaires restent suspendus aux aléas de la scène politique. Une équation où l'habileté vaut mieux que la science des mathématiques pour la résoudre.  

EDF des profits sous haute tension : Luc Rémont à l’épreuve du chaos politique français 

Dans les salons parisiens où se tiennent les conseils d’administration, le chaos politique n’est jamais une bonne nouvelle. Pour Luc Rémont, PDG d’EDF, la période actuelle ressemble à un exercice d’équilibriste particulièrement périlleux. Affichant des résultats 2024 insolents avec 11, 4 milliards d'euros de profits, à sa grande satisfaction: "Nous avons des performances opérationnelles et commerciales qu'on peut qualifier d'excellentes, qui permettent au groupe de réaliser des résultats financiers solides", EDF est au cœur d’un double enjeu : garantir la sécurité énergétique de la France tout en maîtrisant des finances fragilisées par des années d’intervention étatique contradictoire. Or, avec la dissolution de l’Assemblée nationale, des remaniements ministériels à répétition et des décisions budgétaires sans cesse revisitées, EDF avance sur un fil et pourrait se faire surprendre par son actionnaire.

Depuis son retour sous giron étatique, EDF est à la fois la vitrine et le bras armé de la politique énergétique française. L’État, actionnaire unique, impose ses orientations, mais avec les turbulences institutionnelles, ces dernières deviennent de plus en plus difficiles à suivre. Entre les revirements législatifs, l'incertitude sur la régulation des prix de l’électricité et le financement des nouveaux réacteurs nucléaires, Luc Rémont doit s’imposer dans un paysage où la politique dicte une grande partie des décisions économiques.  

La renationalisation d’EDF : un boomerang financier et politique 

Lorsqu’en 2022, l’État annonce la renationalisation totale d’EDF, l’objectif affiché est clair : reprendre le contrôle d’un secteur stratégique et éloigner l’entreprise des aléas d’un marché européen jugé inefficace pour une question aussi cruciale que l’énergie. Mais ce choix place aussi EDF dans une dynamique nouvelle : au lieu de séduire des actionnaires privés, le PDG doit désormais composer avec Bercy et Matignon.  

Or, ces deux institutions sont elles-mêmes soumises à des arbitrages politiques mouvants. Depuis plusieurs mois, le gouvernement cherchait à donner un cap économique clair, notamment sur la réforme du marché de l’électricité et la refonte de l’accès régulé à l’électricité nucléaire (ARENH). Mais la dissolution de l’Assemblée nationale redistribue les cartes. Quel sera l’alignement du futur gouvernement sur ces sujets ? Quelles décisions budgétaires seront conservées ou abandonnées ? Pour Luc Rémont, chaque incertitude politique ouvre une brèche menaçant la stabilité financière d’EDF.  

Électricité : quel avenir pour les prix et la régulation ?  

Si le sujet de la production est central, celui des prix l’est tout autant. L’explosion des tarifs de l’électricité en Europe a provoqué des débats houleux ces dernières années, poussant les autorités françaises à adopter des mesures de contrôle. Mais ces mesures, salutaires pour les consommateurs, sont parfois un fardeau financier pour EDF.  

L’entreprise vend encore une partie de son électricité à prix plafonnés, ce qui limite sa marge de manœuvre pour investir dans ses infrastructures. La réforme du marché électrique européen, qui devait apporter un peu plus de prévisibilité, reste encore floue. Et au milieu de tout cela, EDF doit absorber un endettement massif, fruit de crises successives et d’une politique tarifaire parfois déconnectée des réalités industrielles.  

Luc Rémont doit donc continuer à plaider pour un modèle plus soutenable. Mais face à un pouvoir politique en recomposition, trouver des interlocuteurs stables devient une gageure. L’instabilité institutionnelle retarde les décisions et entrouvre la porte à des arbitrages au coup par coup, bien loin des plans industriels de long terme dont EDF a besoin.  

Le retour en grâce du nucléaire : une stratégie assise sur une fragilité politique

Sur un autre front, le programme nucléaire français est censé être le grand moteur du redressement d’EDF. Emmanuel Macron, en annonçant la relance de plusieurs réacteurs EPR, a réaffirmé une ligne pro-nucléaire tranchée. Mais dans la mise en œuvre, les complexités financières et réglementaires sont légion.  

Construire une nouvelle génération de centrales nécessite des fonds colossaux. Les estimations pour les six futurs réacteurs EPR oscillent entre 50 et 60 milliards d’euros, un investissement que ni EDF ni l’État ne peuvent se permettre d’entraver par des hésitations. Or, ces dernières semaines, l’incertitude politique est venue ajouter une dose de flou sur les financements et la trajectoire budgétaire prévue pour soutenir le plan nucléaire.  

Luc Rémont le sait : si le programme nucléaire est un atout stratégique, il peut aussi devenir une patate chaude politique s’il n’est pas correctement sécurisé financièrement. Sans visibilité sur les enveloppes budgétaires, le risque est grand de voir EDF retardé dans ses ambitions. L’enjeu est aussi industriel : la filière nucléaire, affaiblie par des années de sous-investissement, doit enclencher un redressement rapide pour éviter les mêmes errements que sur l’EPR de Flamanville.  

Luc Rémont face au court-termisme politique  

Tout le paradoxe de la situation actuelle réside dans ce bras de fer constant entre EDF et la politique. Sur le papier, l’orientation stratégique semble partagée : redonner à la France une souveraineté énergétique en s’appuyant sur l’énergie nucléaire et le renforcement des infrastructures. Mais dans les faits, la temporalité industrielle et la temporalité politique sont difficilement compatibles.  

EDF a besoin de décennies pour planifier et réaliser ses projets. Mais les décisions politiques, soumises aux aléas électoraux et aux contraintes budgétaires à court terme, évoluent au gré des majorités et des crises conjoncturelles. Ce décalage a déjà montré ses limites par le passé, et c'est sur ce terrain que Luc Rémont devra jouer. Son succès dépendra de sa capacité à maintenir EDF sur sa trajectoire malgré les secousses de la scène politique française.  

Si le PDG d’EDF parvient à sécuriser les financements et à éviter de voir son entreprise transformée en variable d’ajustement politique, alors il pourra prouver que l’État-actionnaire peut être un atout et non un poids pour l’énergéticien. À l’inverse, si les soubresauts institutionnels ralentissent ou entravent les décisions, EDF risque de se retrouver une fois de plus dans l’impasse.  

Une chose est sûre : la bataille ne fait que commencer, et Luc Rémont devra être plus stratège que jamais pour sortir EDF de ces turbulences.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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EDF entre renaissance et tension : comment Luc Rémont tente de sécuriser l’avenir énergétique de la France

Publié le
March 4, 2025
, mis à jour le
4/3/25
March 4, 2025

EDF qui affiche des résultats financiers rayonnants pour 2024 évolue dans un terrain miné. Luc Rémont, son PDG, doit jongler entre un marché de l’électricité sous tension et un climat politique en pleine tourmente. Depuis la renationalisation du groupe, l’État est à la fois propriétaire et régulateur, rendant chaque décision cruciale pour l’avenir énergétique du pays. Mais alors que la dissolution de l’Assemblée nationale ajoute une dose supplémentaire d’incertitude, la stabilité financière et industrielle d’EDF est mise à l’épreuve. L’avenir du nucléaire, le contrôle des prix et les choix budgétaires restent suspendus aux aléas de la scène politique. Une équation où l'habileté vaut mieux que la science des mathématiques pour la résoudre.  

EDF des profits sous haute tension : Luc Rémont à l’épreuve du chaos politique français 

Dans les salons parisiens où se tiennent les conseils d’administration, le chaos politique n’est jamais une bonne nouvelle. Pour Luc Rémont, PDG d’EDF, la période actuelle ressemble à un exercice d’équilibriste particulièrement périlleux. Affichant des résultats 2024 insolents avec 11, 4 milliards d'euros de profits, à sa grande satisfaction: "Nous avons des performances opérationnelles et commerciales qu'on peut qualifier d'excellentes, qui permettent au groupe de réaliser des résultats financiers solides", EDF est au cœur d’un double enjeu : garantir la sécurité énergétique de la France tout en maîtrisant des finances fragilisées par des années d’intervention étatique contradictoire. Or, avec la dissolution de l’Assemblée nationale, des remaniements ministériels à répétition et des décisions budgétaires sans cesse revisitées, EDF avance sur un fil et pourrait se faire surprendre par son actionnaire.

Depuis son retour sous giron étatique, EDF est à la fois la vitrine et le bras armé de la politique énergétique française. L’État, actionnaire unique, impose ses orientations, mais avec les turbulences institutionnelles, ces dernières deviennent de plus en plus difficiles à suivre. Entre les revirements législatifs, l'incertitude sur la régulation des prix de l’électricité et le financement des nouveaux réacteurs nucléaires, Luc Rémont doit s’imposer dans un paysage où la politique dicte une grande partie des décisions économiques.  

La renationalisation d’EDF : un boomerang financier et politique 

Lorsqu’en 2022, l’État annonce la renationalisation totale d’EDF, l’objectif affiché est clair : reprendre le contrôle d’un secteur stratégique et éloigner l’entreprise des aléas d’un marché européen jugé inefficace pour une question aussi cruciale que l’énergie. Mais ce choix place aussi EDF dans une dynamique nouvelle : au lieu de séduire des actionnaires privés, le PDG doit désormais composer avec Bercy et Matignon.  

Or, ces deux institutions sont elles-mêmes soumises à des arbitrages politiques mouvants. Depuis plusieurs mois, le gouvernement cherchait à donner un cap économique clair, notamment sur la réforme du marché de l’électricité et la refonte de l’accès régulé à l’électricité nucléaire (ARENH). Mais la dissolution de l’Assemblée nationale redistribue les cartes. Quel sera l’alignement du futur gouvernement sur ces sujets ? Quelles décisions budgétaires seront conservées ou abandonnées ? Pour Luc Rémont, chaque incertitude politique ouvre une brèche menaçant la stabilité financière d’EDF.  

Électricité : quel avenir pour les prix et la régulation ?  

Si le sujet de la production est central, celui des prix l’est tout autant. L’explosion des tarifs de l’électricité en Europe a provoqué des débats houleux ces dernières années, poussant les autorités françaises à adopter des mesures de contrôle. Mais ces mesures, salutaires pour les consommateurs, sont parfois un fardeau financier pour EDF.  

L’entreprise vend encore une partie de son électricité à prix plafonnés, ce qui limite sa marge de manœuvre pour investir dans ses infrastructures. La réforme du marché électrique européen, qui devait apporter un peu plus de prévisibilité, reste encore floue. Et au milieu de tout cela, EDF doit absorber un endettement massif, fruit de crises successives et d’une politique tarifaire parfois déconnectée des réalités industrielles.  

Luc Rémont doit donc continuer à plaider pour un modèle plus soutenable. Mais face à un pouvoir politique en recomposition, trouver des interlocuteurs stables devient une gageure. L’instabilité institutionnelle retarde les décisions et entrouvre la porte à des arbitrages au coup par coup, bien loin des plans industriels de long terme dont EDF a besoin.  

Le retour en grâce du nucléaire : une stratégie assise sur une fragilité politique

Sur un autre front, le programme nucléaire français est censé être le grand moteur du redressement d’EDF. Emmanuel Macron, en annonçant la relance de plusieurs réacteurs EPR, a réaffirmé une ligne pro-nucléaire tranchée. Mais dans la mise en œuvre, les complexités financières et réglementaires sont légion.  

Construire une nouvelle génération de centrales nécessite des fonds colossaux. Les estimations pour les six futurs réacteurs EPR oscillent entre 50 et 60 milliards d’euros, un investissement que ni EDF ni l’État ne peuvent se permettre d’entraver par des hésitations. Or, ces dernières semaines, l’incertitude politique est venue ajouter une dose de flou sur les financements et la trajectoire budgétaire prévue pour soutenir le plan nucléaire.  

Luc Rémont le sait : si le programme nucléaire est un atout stratégique, il peut aussi devenir une patate chaude politique s’il n’est pas correctement sécurisé financièrement. Sans visibilité sur les enveloppes budgétaires, le risque est grand de voir EDF retardé dans ses ambitions. L’enjeu est aussi industriel : la filière nucléaire, affaiblie par des années de sous-investissement, doit enclencher un redressement rapide pour éviter les mêmes errements que sur l’EPR de Flamanville.  

Luc Rémont face au court-termisme politique  

Tout le paradoxe de la situation actuelle réside dans ce bras de fer constant entre EDF et la politique. Sur le papier, l’orientation stratégique semble partagée : redonner à la France une souveraineté énergétique en s’appuyant sur l’énergie nucléaire et le renforcement des infrastructures. Mais dans les faits, la temporalité industrielle et la temporalité politique sont difficilement compatibles.  

EDF a besoin de décennies pour planifier et réaliser ses projets. Mais les décisions politiques, soumises aux aléas électoraux et aux contraintes budgétaires à court terme, évoluent au gré des majorités et des crises conjoncturelles. Ce décalage a déjà montré ses limites par le passé, et c'est sur ce terrain que Luc Rémont devra jouer. Son succès dépendra de sa capacité à maintenir EDF sur sa trajectoire malgré les secousses de la scène politique française.  

Si le PDG d’EDF parvient à sécuriser les financements et à éviter de voir son entreprise transformée en variable d’ajustement politique, alors il pourra prouver que l’État-actionnaire peut être un atout et non un poids pour l’énergéticien. À l’inverse, si les soubresauts institutionnels ralentissent ou entravent les décisions, EDF risque de se retrouver une fois de plus dans l’impasse.  

Une chose est sûre : la bataille ne fait que commencer, et Luc Rémont devra être plus stratège que jamais pour sortir EDF de ces turbulences.

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