économie

La riposte de Xi

Tandis que Washington ferme ses ports, Pékin renforce ses alliances en Asie du Sud-Est

Publié le
15/4/25
, mis à jour le
15/4/25
April 15, 2025

Alors que les tensions commerciales atteignent un pic entre la Chine et les États-Unis, Xi Jinping déploie une stratégie diplomatique offensivement calculée en Asie du Sud-Est. Son objectif : bâtir un rempart économique et géopolitique contre Donald Trump. À travers un engagement renforcé avec le Vietnam, la Malaisie et le Cambodge, la Chine cherche à structurer un nouveau pôle d’influence et à préserver ses chaînes logistiques.

Depuis Hanoï jusqu'à Phnom Penh en passant par Kuala Lumpur, Xi Jinping avance ses pions. Non pas à la manière abrupte d’un dirigeant acculé, mais tel un stratège millimétrique sur un échiquier planétaire devenu incandescent avec les assauts tarifaires de Washington. La guerre commerciale sino-américaine ne se résume plus à une bataille de chiffres ni à une succession de hausses de droits de douane. Elle s’est maintenant déplacée là où l’économie mondiale entre en mutation : en Asie du Sud-Est. Xi Jinping le sait. S’il veut survivre à la tempête Trumpienne, il n’a d’autre choix que de redessiner les cartes. Et il le fait de manière méthodique, avec la patience d’un calligraphe et la détermination d’un monarque.

Il n’est plus uniquement question ici d’une guerre sur les balances commerciales. C’est désormais la maîtrise des routes – maritimes, ferroviaires, numériques – qui est au cœur de la confrontation. Et pour Pékin, cette guerre ne peut être gagnée qu’en tissant une alliance économique étanche dans une région  stratégique.

Avec les hausses de tarifs imposées par l’administration Trump estimés en centaines de milliards de dollars de produits chinois, Pékin ne pouvait rester l’arme au pied. Chaque point de croissance devient une bataille. Chaque point de contact, un levier de puissance. Conscient de cette réalité, Xi Jinping dégaine l’arme qu’il estime la plus fiable à long terme : la diplomatie économique. Son outil de prédilection ? Les Nouvelles Routes de la Soie, ou plutôt ce qu’il reste de leur prestige amidonné, désormais réajusté aux contraintes du climat géopolitique actuel.

Une campagne diplomatique de séduction avancée en Asie du sud-est

En visitant le Vietnam, la Malaisie puis le Cambodge, le président chinois ne fait pas une simple tournée protocolaire. C’est une campagne de mobilisation. Xi ne vient pas convaincre, il vient proposer un pacte d’abord économique, mais aussi politique et stratégique. Car si la Chine est aujourd’hui la cible des missiles protectionnistes de Trump, Xi Jinping entend faire de ses voisins les co-propriétaires d’un bloc commercial alternatif. Une Asie resserrée sur elle-même, autosuffisante en partie, et tournée non plus vers la puissance américaine mais vers une centralité pékinoise.

Au Vietnam, son discours est poli mais ferme. Cette fois, pas besoin de menaces ni de bras de fer. Il s’agit de rappeler que dans un monde où la division a remplacé l’équilibre, mieux vaut miser sur des chaînes logistiques communes, sur une connectivité régionale accrue, et sur des infrastructures partagées. La Chine propose plus que des contrats : elle offre une vision. Un monde où la croissance ne dépend plus des humeurs de Washington, mais d’un maillage asiatique intégré, fluide et coordonné.

En Malaisie, la rhétorique s’affine. Lui qui, à une époque, avait vu son pays suspendre certains projets signés avec Pékin, Xi Jinping revient avec une proposition plus nuancée. Moins imposante, mais plus pérenne. Exit les éléphants blancs, ces projets d’infrastructure trop vastes, trop chers, parfois jugés inutiles. Ici, l’heure est à « l’écologie diplomatique ». Pékin propose de co-construire, d’écouter davantage, de tenir compte des sensibilités locales. Un virage rhétorique habile, qui vise à désamorcer les critiques passées tout en solidifiant des partenariats qui, à terme, pourraient détourner certains flux commerciaux des ports américains.

Le Cambodge, quant à lui, est à la fois proche et dépendant. Ses dirigeants sont parmi les plus loyaux à Pékin, souvent perçus comme ses alliés inconditionnels au sein de l’ASEAN. Ici, la promesse est claire. Dans un monde où même les anciennes alliances s’effondrent, la Chine offre stabilité, investissement rapide, routes, ports, technologies et parfois, silence sur les droits de l’homme. Une offre séduisante pour des États qui, confrontés à des incertitudes post-Covid, cherchent des partenaires capables de livrer aujourd’hui – pas après-demain.

Créer un pôle régional fort pour contrer l'imperialisme américain

Mais Xi Jinping ne s’arrête pas là. L’objectif est plus vaste. Il s’agit moins de séduire les États un par un que de fédérer une dynamique régionale. L’ASEAN, cette organisation souvent critiquée pour son manque de cohérence politique, devient ici le théâtre d’une bataille d’influence. Washington tente de séduire avec le IPEF (Indo-Pacific Economic Framework), un accord commercial aux contours flous mais à l’ambition affirmée. Pékin, lui, contre-attaque en jouant sur la complémentarité géographique et en réactivant subtilement le Partenariat économique régional global (RCEP), un accord signé en 2020 qui réunit quinze pays d’Asie-Pacifique, sans les États-Unis.

C’est là que se joue une autre partie d’échecs, plus discrète : celle de la normalisation des flux. Car derrière les discours et les poignées de main, ce sont bien les chaînes d’approvisionnement qui sont l’enjeu central de cette confrontation. Trump veut frapper là où la Chine est encore vulnérable : sa dépendance aux exportations. Xi Jinping, lui, veut répondre en multipliant les itinéraires, en diversifiant les débouchés et en localisant certaines productions dans les pays alliés. Une entreprise coûteuse, incertaine, mais stratégiquement nécessaire.

Et cela fonctionne, partiellement. Certaines entreprises chinoises déplacent déjà une partie de leur production vers le Vietnam ou la Thaïlande, non pas pour fuir le pays, mais pour s’assurer des sorties de secours en cas de mesures plus agressives de la part des États-Unis. Cette régionalisation du Made in China est planifiée, orchestrée, et encouragée en haut lieu. Elle s’accompagne souvent de transferts de technologies conditionnés à des accords de partenariat privilégiés avec Pékin.

Mais tout cela repose sur un équilibre fragile.

Car dans cette entreprise, la Chine tente de piloter un attelage hétérogène : des économies très différentes, des aspirations parfois contradictoires, et des opposants discrets mais actifs. Tokyo regarde avec suspicion, Séoul s'interroge, l’Inde observe sans adhérer. L’ASEAN, elle-même, reste divisée. Certains pays comme Singapour penchent encore vers des partenariats équilibrés avec les États-Unis. D’autres n’ont pas oublié les dérives de la diplomatie du chéquier. La route vers une solidarité asiatique totale est longue.

Et Xi Jinping marche sur un fil. Sa tournée est autant un aveu qu’une ambition. Un aveu, car elle révèle une pression réelle sur l’économie chinoise, confrontée à une croissance ralentie, à un secteur immobilier en crise et à un isolement international accentué. Une ambition, car malgré tout, Pékin reste la deuxième puissance économique mondiale, avec des réserves, une industrie et un savoir-faire logistique susceptibles d’ancrer profondément son influence régionale.

Reste enfin l’interrogation centrale. Le front anti-Trump que tente de construire Xi Jinping survivra-t-il à un éventuel retour de Trump au pouvoir en 2025 ? Rien n’est moins sûr. Car l’ancien président américain – hyper protectionniste, volontiers agressif sur le plan commercial – pourrait bien revenir avec des mesures encore plus brutales. Des taxes de 60 % sur toutes les importations chinoises ont déjà été évoquées par l’intéressé. Dans ce cas, même les alliances les plus solides pourraient trembler.

Mais Xi Jinping semble prêt. Cette tournée est son signal. Quoi qu’il en coûte. Dans un monde fragmenté, où les anciennes logiques ne valent plus, la Chine ne cherche plus seulement à commercer avec ses voisins, elle cherche à bâtir un nouvel ordre commercial dont elle serait le pivot. Un monde où l’influence américaine serait diluée dans un concert asiatique de plus en plus interconnecté. Un monde dans lequel, finalement, Trump n’imposerait plus les règles du jeu. Mais encore faut-il que les partenaires de Xi acceptent de jouer cette nouvelle partie. Et pour l’instant, les dés n’ont pas encore tout à fait roulé.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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La riposte de Xi

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April 15, 2025
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15/4/25
April 15, 2025

Alors que les tensions commerciales atteignent un pic entre la Chine et les États-Unis, Xi Jinping déploie une stratégie diplomatique offensivement calculée en Asie du Sud-Est. Son objectif : bâtir un rempart économique et géopolitique contre Donald Trump. À travers un engagement renforcé avec le Vietnam, la Malaisie et le Cambodge, la Chine cherche à structurer un nouveau pôle d’influence et à préserver ses chaînes logistiques.

Depuis Hanoï jusqu'à Phnom Penh en passant par Kuala Lumpur, Xi Jinping avance ses pions. Non pas à la manière abrupte d’un dirigeant acculé, mais tel un stratège millimétrique sur un échiquier planétaire devenu incandescent avec les assauts tarifaires de Washington. La guerre commerciale sino-américaine ne se résume plus à une bataille de chiffres ni à une succession de hausses de droits de douane. Elle s’est maintenant déplacée là où l’économie mondiale entre en mutation : en Asie du Sud-Est. Xi Jinping le sait. S’il veut survivre à la tempête Trumpienne, il n’a d’autre choix que de redessiner les cartes. Et il le fait de manière méthodique, avec la patience d’un calligraphe et la détermination d’un monarque.

Il n’est plus uniquement question ici d’une guerre sur les balances commerciales. C’est désormais la maîtrise des routes – maritimes, ferroviaires, numériques – qui est au cœur de la confrontation. Et pour Pékin, cette guerre ne peut être gagnée qu’en tissant une alliance économique étanche dans une région  stratégique.

Avec les hausses de tarifs imposées par l’administration Trump estimés en centaines de milliards de dollars de produits chinois, Pékin ne pouvait rester l’arme au pied. Chaque point de croissance devient une bataille. Chaque point de contact, un levier de puissance. Conscient de cette réalité, Xi Jinping dégaine l’arme qu’il estime la plus fiable à long terme : la diplomatie économique. Son outil de prédilection ? Les Nouvelles Routes de la Soie, ou plutôt ce qu’il reste de leur prestige amidonné, désormais réajusté aux contraintes du climat géopolitique actuel.

Une campagne diplomatique de séduction avancée en Asie du sud-est

En visitant le Vietnam, la Malaisie puis le Cambodge, le président chinois ne fait pas une simple tournée protocolaire. C’est une campagne de mobilisation. Xi ne vient pas convaincre, il vient proposer un pacte d’abord économique, mais aussi politique et stratégique. Car si la Chine est aujourd’hui la cible des missiles protectionnistes de Trump, Xi Jinping entend faire de ses voisins les co-propriétaires d’un bloc commercial alternatif. Une Asie resserrée sur elle-même, autosuffisante en partie, et tournée non plus vers la puissance américaine mais vers une centralité pékinoise.

Au Vietnam, son discours est poli mais ferme. Cette fois, pas besoin de menaces ni de bras de fer. Il s’agit de rappeler que dans un monde où la division a remplacé l’équilibre, mieux vaut miser sur des chaînes logistiques communes, sur une connectivité régionale accrue, et sur des infrastructures partagées. La Chine propose plus que des contrats : elle offre une vision. Un monde où la croissance ne dépend plus des humeurs de Washington, mais d’un maillage asiatique intégré, fluide et coordonné.

En Malaisie, la rhétorique s’affine. Lui qui, à une époque, avait vu son pays suspendre certains projets signés avec Pékin, Xi Jinping revient avec une proposition plus nuancée. Moins imposante, mais plus pérenne. Exit les éléphants blancs, ces projets d’infrastructure trop vastes, trop chers, parfois jugés inutiles. Ici, l’heure est à « l’écologie diplomatique ». Pékin propose de co-construire, d’écouter davantage, de tenir compte des sensibilités locales. Un virage rhétorique habile, qui vise à désamorcer les critiques passées tout en solidifiant des partenariats qui, à terme, pourraient détourner certains flux commerciaux des ports américains.

Le Cambodge, quant à lui, est à la fois proche et dépendant. Ses dirigeants sont parmi les plus loyaux à Pékin, souvent perçus comme ses alliés inconditionnels au sein de l’ASEAN. Ici, la promesse est claire. Dans un monde où même les anciennes alliances s’effondrent, la Chine offre stabilité, investissement rapide, routes, ports, technologies et parfois, silence sur les droits de l’homme. Une offre séduisante pour des États qui, confrontés à des incertitudes post-Covid, cherchent des partenaires capables de livrer aujourd’hui – pas après-demain.

Créer un pôle régional fort pour contrer l'imperialisme américain

Mais Xi Jinping ne s’arrête pas là. L’objectif est plus vaste. Il s’agit moins de séduire les États un par un que de fédérer une dynamique régionale. L’ASEAN, cette organisation souvent critiquée pour son manque de cohérence politique, devient ici le théâtre d’une bataille d’influence. Washington tente de séduire avec le IPEF (Indo-Pacific Economic Framework), un accord commercial aux contours flous mais à l’ambition affirmée. Pékin, lui, contre-attaque en jouant sur la complémentarité géographique et en réactivant subtilement le Partenariat économique régional global (RCEP), un accord signé en 2020 qui réunit quinze pays d’Asie-Pacifique, sans les États-Unis.

C’est là que se joue une autre partie d’échecs, plus discrète : celle de la normalisation des flux. Car derrière les discours et les poignées de main, ce sont bien les chaînes d’approvisionnement qui sont l’enjeu central de cette confrontation. Trump veut frapper là où la Chine est encore vulnérable : sa dépendance aux exportations. Xi Jinping, lui, veut répondre en multipliant les itinéraires, en diversifiant les débouchés et en localisant certaines productions dans les pays alliés. Une entreprise coûteuse, incertaine, mais stratégiquement nécessaire.

Et cela fonctionne, partiellement. Certaines entreprises chinoises déplacent déjà une partie de leur production vers le Vietnam ou la Thaïlande, non pas pour fuir le pays, mais pour s’assurer des sorties de secours en cas de mesures plus agressives de la part des États-Unis. Cette régionalisation du Made in China est planifiée, orchestrée, et encouragée en haut lieu. Elle s’accompagne souvent de transferts de technologies conditionnés à des accords de partenariat privilégiés avec Pékin.

Mais tout cela repose sur un équilibre fragile.

Car dans cette entreprise, la Chine tente de piloter un attelage hétérogène : des économies très différentes, des aspirations parfois contradictoires, et des opposants discrets mais actifs. Tokyo regarde avec suspicion, Séoul s'interroge, l’Inde observe sans adhérer. L’ASEAN, elle-même, reste divisée. Certains pays comme Singapour penchent encore vers des partenariats équilibrés avec les États-Unis. D’autres n’ont pas oublié les dérives de la diplomatie du chéquier. La route vers une solidarité asiatique totale est longue.

Et Xi Jinping marche sur un fil. Sa tournée est autant un aveu qu’une ambition. Un aveu, car elle révèle une pression réelle sur l’économie chinoise, confrontée à une croissance ralentie, à un secteur immobilier en crise et à un isolement international accentué. Une ambition, car malgré tout, Pékin reste la deuxième puissance économique mondiale, avec des réserves, une industrie et un savoir-faire logistique susceptibles d’ancrer profondément son influence régionale.

Reste enfin l’interrogation centrale. Le front anti-Trump que tente de construire Xi Jinping survivra-t-il à un éventuel retour de Trump au pouvoir en 2025 ? Rien n’est moins sûr. Car l’ancien président américain – hyper protectionniste, volontiers agressif sur le plan commercial – pourrait bien revenir avec des mesures encore plus brutales. Des taxes de 60 % sur toutes les importations chinoises ont déjà été évoquées par l’intéressé. Dans ce cas, même les alliances les plus solides pourraient trembler.

Mais Xi Jinping semble prêt. Cette tournée est son signal. Quoi qu’il en coûte. Dans un monde fragmenté, où les anciennes logiques ne valent plus, la Chine ne cherche plus seulement à commercer avec ses voisins, elle cherche à bâtir un nouvel ordre commercial dont elle serait le pivot. Un monde où l’influence américaine serait diluée dans un concert asiatique de plus en plus interconnecté. Un monde dans lequel, finalement, Trump n’imposerait plus les règles du jeu. Mais encore faut-il que les partenaires de Xi acceptent de jouer cette nouvelle partie. Et pour l’instant, les dés n’ont pas encore tout à fait roulé.

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